La diminution récente de la pollution des navires liée au réchauffement des océans
La revue scientifique “Science” soulève une question d’importance : l’effet de la réglementation instaurée depuis le début de l’année 2020, qui réduit la teneur maximale en soufre du fioul utilisé par les navires, sur les températures extrêmes observées dans les océans.
Agrégat d’études
Dans une synthèse d’articles de recherche récemment publiés, la revue “Science” interroge, en août, les conséquences climatiques de la nouvelle réglementation qui abaisse de manière significative la teneur en soufre du fioul utilisé par les navires. Cette norme, mise en œuvre par l’Organisation maritime internationale (OMI) dès le 1er janvier 2020, vise à réduire les émissions de particules fines, ce qui est bénéfique pour la santé humaine et les écosystèmes. Cependant, cette réglementation a un impact sur la formation et la réflectivité des nuages de basse altitude, lesquels jouent un rôle important dans le renvoi du rayonnement solaire.
Le mécanisme en jeu est bien établi : la présence de soufre dans le carburant des navires entraîne la production d’oxydes de soufre lors de la combustion, ces derniers se transformant en particules fines dans l’atmosphère. Ces particules agissent comme des “noyaux de condensation”, attirant la vapeur d’eau et favorisant ainsi la création de nuages avec des gouttelettes plus petites et plus nombreuses, augmentant la réflexion du rayonnement solaire. Cela contribue ainsi à refroidir le climat.
Cette interrogation revêt une pertinence particulière alors que plusieurs zones océaniques connaissent cet été des épisodes de canicule sans précédent. Les températures de surface de l’Atlantique Nord, notamment, ont dépassé leur record précédent de près de 1 °C à la fin du mois de juillet. Les principales causes de ce phénomène sont le réchauffement d’origine anthropique, qui progresse à une vitesse fulgurante, et des conditions météorologiques inhabituelles caractérisées par des vents anormalement faibles.
Le National Centre for Atmospheric Science britannique souligne dans un communiqué que certaines mesures de lutte contre la pollution atmosphérique pourraient aussi être liées aux températures élevées dans l’Atlantique Nord, le Pacifique et l’Antarctique. Cependant, il reconnaît que l’intensité de ce lien reste incertaine malgré les changements de réglementation sur les carburants des navires.
Selon une étude publiée par le climatologue Michael Diamond de l’université d’État de Floride, le forçage radiatif – c’est-à-dire l’effet de réchauffement – de la nouvelle réglementation de l’OMI serait d’environ 0,1 watt par mètre carré (W/m2), en moyenne sur la planète. Bien que cette évaluation soit significative, elle demeure nettement inférieure aux 2,7 W/m2 du forçage radiatif anthropique résultant de toutes les activités humaines depuis l’ère préindustrielle, selon le rapport le plus récent du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). L’impact sur la formation des nuages dans les couloirs de navigation semble véridique, bien que chiffrer son importance avec précision reste difficile.
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3 ans de recul
Il convient également de noter que la période d’observation est relativement courte, puisque la nouvelle réglementation de l’OMI n’est entrée en vigueur qu’au début de 2020, les deux premières années ayant été marquées par un ralentissement du trafic maritime en raison de la pandémie de Covid-19. Ainsi, poursuivre les observations au cours des années à venir permettra d’obtenir une meilleure évaluation de l’effet radiatif du changement de carburant des navires, comme le souligne le climatologue Olivier Boucher.
Par ailleurs, l’effet climatique des nuages formés dans le sillage des navires n’est pas une nouveauté. En effet, l’idée d’équiper les flottes de dispositifs vaporisant des embruns pour “blanchir” les nuages contribuant au rafraîchissement de l’océan figure même parmi les propositions de géo-ingénierie pour lutter contre le réchauffement climatique.
Enfin, les effets potentiellement négatifs de la nouvelle réglementation de l’OMI sur le climat ont déjà fait l’objet de débats, des chercheurs américains, conduits par Kelsey Bilsback de l’université du Colorado, ont estimé dans la revue Environmental Research Letters en octobre 2020 que les avantages sanitaires de la dépollution l’emportaient sur les effets climatiques négatifs. Ils ont chiffré ces avantages entre 129 milliards et 374 milliards de dollars par an, tandis que l’effet “réchauffant” (évalué à moins de 0,1 W/m2) pourrait être compensé par des mesures coûtant entre 12 et 17 milliards de dollars par an.