Des usines chinoises alimentant France et supermarchés sous enquête

L’enquête menée par The Outlaw Ocean Project révèle que des distributeurs de produits de la mer en France et en Europe se sont approvisionnés auprès d’usines chinoises suspectées d’avoir recouru au travail forcé de la population ouïgoure. Cette situation soulève des préoccupations majeures quant à la chaîne d’approvisionnement dans l’industrie des produits de la mer, affectant même la France, où de nombreuses entreprises importent leurs marchandises de Chine.

Travail forcé ouïgour

Selon les données commerciales disponibles, Cité Marine, un acteur majeur dans la fourniture de produits de la mer en France, a importé plus de 200 cargaisons de colin et de cabillaud en provenance de Qingdao Tianyuan Aquatic Foodstuff depuis 2018. À partir de cette année, des soupçons ont émergé concernant l’usine située dans la province côtière du Shandong, laquelle est suspectée d’avoir eu recours au travail forcé ouïgour, au moins jusqu’en avril 2023.

Des preuves tangibles de cette situation proviennent d’une vidéo promotionnelle de Qingdao Tianyuan datant de 2018, montrant des employés originaires du Xinjiang exécutant des danses traditionnelles ouïgoures au sein de l’entreprise. De plus, des articles dans la presse chinoise, tels que le Centre d’information de Jiaozhou et l’Economic Daily, rapportent un transfert de main-d’œuvre en 2020, citant une personne au nom à consonance musulmane originaire de la préfecture de Hotan, où la population est majoritairement ouïgoure.

Des photographies de personnes transférées de Hotan vers Qingdao avec le même numéro de vol ont également été rendues publiques par Urumqi Radio and Television Financial Media. Par ailleurs, des vidéos circulant sur les réseaux sociaux montrent des Ouïgours travaillant dans l’usine au moins jusqu’en avril 2023. Toutefois, la directrice générale de Qingdao Tianyuan, Nina Yin, déclare que l’entreprise s’oppose fermement à toute forme de travail forcé et nie toute implication dans des transferts de main-d’œuvre ou des projets de réduction de la pauvreté.

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Cité Marine, entreprise française du Morbihan

Face à ces allégations, Cité Marine a souligné que leur fournisseur est certifié “pêche durable” par le Marine Stewardship Council (MSC), un écolabel garantissant le respect de normes sociales, y compris l’absence de travail forcé. L’entreprise a également fait l’objet d’audits sociaux réguliers qui n’ont jamais révélé d’utilisation de main-d’œuvre ouïgoure forcée. Cité Marine a réagi en mandatant un nouvel audit social de manière inopinée, sans en informer le fournisseur. Cet audit n’a pas non plus mis en évidence de telles pratiques. Malgré les assurances de leur fournisseur, par mesure de précaution, Cité Marine a décidé de suspendre ses approvisionnements en provenance de cette usine.

Cité Marine joue un rôle essentiel en tant que fournisseur de colin, de cabillaud, de filets panés et de nuggets de poisson pour des chaînes de supermarchés majeures en France, dont Aldi, Lidl, Auchan, Carrefour, Intermarché et Grand Frais. Leur propre marque, Cap Océan, est également largement distribuée dans le pays. Le colin fourni par Cité Marine est présent dans divers produits de la mer, tels que les rillettes de thon et de saumon, vendus par Leclerc, Casino et Franprix.

usine poissons Chine

Fournisseur de nombreuses cantines

Les cantines des collectivités publiques en France sont un élément essentiel de la vie quotidienne de nombreuses personnes, que ce soit pour les écoles, les hôpitaux ou d’autres institutions. Dans ce contexte, Cité Marine, un fournisseur majeur de produits de la mer en France, a attiré l’attention en raison de ses liens avec des usines chinoises suspectées d’utiliser le travail forcé de la population ouïgoure.

Cité Marine fournit du poisson blanc, notamment du colin, à Sysco France, une filiale de Sysco, l’un des leaders mondiaux de l’agroalimentaire, qui sert de fournisseur principal pour de nombreuses collectivités locales. Les données provenant de la base de données des marchés publics de l’Union européenne montrent que Sysco France a remporté 62 contrats entre 2018 et 2023, d’une valeur totale de 30 millions d’euros, pour la fourniture de produits de la mer surgelés dans les écoles, les hôpitaux et les collectivités publiques.

Cependant, des inquiétudes persistent quant aux liens entre les fournisseurs de Sysco France et le travail forcé ouïgour en Chine. La Commission européenne a demandé des informations à Sysco France à ce sujet, mais l’entreprise n’a pas encore fourni de réponses détaillées.

Un autre importateur, la division française de Nordic Seafood, une entreprise danoise, a importé plusieurs cargaisons de colin de Qingdao Tianyuan depuis mi-2022. Nordic Seafood et Cité Marine font toutes deux partie de Nissui Corporation, le deuxième plus grand acteur mondial de l’industrie des produits de la mer. En outre, Nordic Seafood a importé du saumon rose de l’entreprise chinoise Dalian Rich, qui a signé un accord de distribution avec une ferme piscicole, Xinjiang Tianyun Organic Agriculture, qui participe à des programmes gouvernementaux de “sortie de la pauvreté”.

La situation devient plus complexe, car au moins deux importateurs européens de poisson blanc importent des produits de Qingdao Tianyuan et fournissent Nomad Foods, une entreprise cotée à la Bourse de New York et un leader européen du marché du surgelé. Nomad Foods opère sous diverses marques populaires, telles que Findus en France, Birds Eye au Royaume-Uni, et Iglo en Allemagne. Des produits de la marque Findus de Nomad Foods sont disponibles dans des supermarchés comme Carrefour, Coop en Italie, et Walmart au Canada, grâce à ses fournisseurs.

L’un de ces importateurs, Unibond Seafood International, a acheté du colin et du cabillaud de Qingdao Tianyuan. Jason Parsons, directeur commercial d’Unibond, a déclaré que leur entreprise ne compromettrait pas ses normes éthiques et qu’elle enquêtait sur les allégations liées à Qingdao Tianyuan.

Un autre fournisseur de Nomad Foods, NorthSeaFood Holland, a importé du colin et de la sole de deux usines chinoises, Yantai Sanko Fisheries et Yantai Longwin Foods, suspectées d’avoir utilisé des travailleurs ouïgours dans le cadre de transferts organisés par le gouvernement. Ces produits sont également présents sur les étagères des supermarchés, y compris Carrefour, Coop en Italie et Walmart au Canada.

Les entreprises concernées ont des obligations éthiques envers leurs consommateurs et partenaires commerciaux. Nomad Foods, par exemple, s’efforce de garantir que sa chaîne d’approvisionnement respecte les normes éthiques et les droits de l’homme. Cependant, certaines entreprises n’ont pas encore répondu de manière satisfaisante aux préoccupations soulevées concernant leurs fournisseurs.

Les grandes surfaces réagissent

Face à ces révélations, Carrefour, Lidl, Aldi, le Groupe Casino et Walmart Canada ont pris des mesures pour ouvrir des enquêtes internes et ont réaffirmé leur engagement à lutter contre le travail forcé et à garantir le respect des droits de l’homme dans leur chaîne d’approvisionnement. À ce jour, leurs enquêtes n’ont pas permis de confirmer l’utilisation de travail forcé chez leurs fournisseurs. Aldi, quant à lui, a suspendu toute relation commerciale avec les sites de production mentionnés en attendant des clarifications.

Ces développements soulignent l’importance d’une chaîne d’approvisionnement transparente et éthique, ainsi que la nécessité pour les entreprises de s’assurer que leurs pratiques respectent les droits de l’homme à chaque étape du processus. Les enquêtes et les engagements continueront de jouer un rôle essentiel pour garantir que les produits disponibles sur le marché sont produits de manière éthique.